Direction de dossiers en revues
L’Image citoyenne, la photographie — Approches sociales novatrices
Sensible, hors-série n° 2, dir. par Alexandre Castant (rédacteur en chef) et Pierre Devin (directeur de la publication), Centre Régional de la Photographie Nord Pas-de-Calais, Douchy-les-Mines, décembre 1997, 152p.
Les auteurs : Shahidul Alam, Gabriel Bauret, Élisabeth Caillet, Régine Carpentier, Alexandre Castant, Miguel Chikaoka, Pierre Devin, Marcel Duhamel, Annik Duvillaret, Thierry Dumanoir, Dominique Gaessler, Armand Gatti, Christian Gattinoni, Geneviève Jacquinot, Bernard Joseph, Martine Michard, Bernard Michaux, Jacques Perriault, Alain Réveillon, François Saint-Pierre, Dominique Sampiero, Michel Séméniako, Serge Tisseron, Marc Trivier.
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Post-Ateliers, enquête
à La Vie de Jésus de Bruno Dumont
La galerie de l’ancienne poste de Douchy-les-Mines baigne dans la lumière d’un après-midi de mai. Puis elle s’anime de rumeurs : des voix timides s’élèvent, des chuchotements la parcourent. Mercredi. Des adolescents ont été invités pour s’entretenir de la pratique artistique qu’ils ont suivie dans le cadre des ateliers qu’a initiés et animés le Centre Régional de la Photographie (CRP). Pour Anne, c’était il y a six ans, en 1991, un souvenir vif et lointain : elle a vingt-deux ans. Dimitri en a quatorze et l’aventure a toujours cours : l’atelier, c’est cette année. Entre eux se développe la complicité des rencontres, leurs témoignages d’une pratique s’échangent. Ils se souviennent maintenant de ces moments et sont venus, plutôt spontanément, pour en parler.
Entre quatorze et vingt-quatre ans aujourd’hui — soit la génération qui a connu, de plein fouet, les dominations de l’esthétique télévisuelle puis des jeux vidéos — ils ont partagé une même expérience : Anne, Hayette, Christophe, Dimitri, Sabrina, Vincent, Malik, Radia et Stéphanie s’emploieront à préciser ces moments photographiques qui leur firent découvrir l’image, certes, mais à travers elle le monde, un autre monde, celui de l’art où le temps se contemple. Puis, plus tard, Christian, François, Sophie, aujourd’hui adultes, témoigneront à leur tour de ces ateliers qu’ils connurent.
Ainsi, rencontrer Claude-Raymond Dityvon dans la galerie du CRP, visiter des expositions en région, réaliser des ateliers avec Philippe Lesage, approcher l’image fixe, loin des séries fragmentées du zapping contemporain, prit un sens incompressible pour ces collégiens. Et redécouvrir sa ville à travers le regard photographique pour s’inscrire, par là même, dans le battement d’un espace qui trop souvent les oublie recouvre une expérience indicible. Car il y aurait une erreur à croire que l’accès à l’art est une évidence, que le sens remonte nécessairement à la surface des choses, que son goût s’acquiert dès lors qu’une immersion dans les images et les sons s’opère. Rencontrer le fait artistique est un phénomène rare : trop d’à priori sociologique, trop d’impératifs économiques bloquent son accès. L’art est opaque, par qualité. C’est ainsi qu’il est nécessaire que de nombreux embrayeurs de masse — médiatiques, sociaux — lui servent de relais : acquérir une mise en perspective théorique et une rigueur de chaque instant sera l’étape suivante. Conditions citoyennes ? « J’ai appris le sens critique, positivement, négativement. Cette pédagogie me suit toujours… » dira Hayette. « C’était l’histoire d’un groupe, nous avancions ensemble, dans un sens de la sociabilité… » continuera Stéphanie. Mais derrière cette conscience du groupe dont il est éprouvé qu’une relation au réel reste l’un des éléments de cohésion, se joue la propre expression des enfants qu’ils furent : « La photographie implique celui qui regarde… » poursuivra Anne. « L’important c’est le langage des images : avec elles nous pouvons parler. C’est un point de fuite, une perspective, un langage… » répondra Radia. Quant à Anne, elle conclura en précisant que l’omniprésence de l’image peut aider le monde à condition qu’il sache la voir.
C’est à l’issue d’un atelier de pratique artistique que Christophe se passionna pour le tirage, le pratiqua, devint tireur avant d’avoir la responsabilité, aujourd’hui, du laboratoire professionnel du CRP. À son parcours, atypique au sein d’une famille ouvrière de Douchy-les-Mines, répond en écho celui de Christian.
En 1990, Christian suit régulièrement un atelier de pratique artistique à Douchy-les-Mines : en classe de troisième, il est d’emblée captivé par cette découverte. Depuis, il se consacrera à l’art en tant que celui-ci est véhicule d’expressions et d’idées. Aujourd’hui correspondant localier du quotidien La Voix du Nord et responsable d’un petit journal — notamment engagé dans une lutte de terrain contre l’extrême droite —, il revendique la nécessité de prendre en compte un point de vue souvent oublié localement : celui de la jeunesse. Les mots des Échos des jeunes de la ville de Haulchin la transmettent.
Aujourd’hui adultes, professionnalisés dans des secteur qui, a priori, ne sollicitent pas la photographie en tant qu’art — l’industrie et l’enseignement agricole — Sophie et François regardent rétrospectivement leur première rencontre avec les ateliers de pratique artistique comme, d’abord, l’apprentissage d’une conscience de soi.
En 1983, François connaît l’opportunité — il avait quinze ans — de suivre un stage avec Marie-Paule Nègre. Alors adolescent, il se souvient de cet atelier destiné à des enfants dont le poids moral de l’éducation, et l’envahissement des images, n’avaient pas encore socialement codé leur attitude vis-à-vis de l’image et d’eux-mêmes. Une liberté s’opérait alors. Si aujourd’hui François enseigne dans un lycée agricole l’éducation artistique à des adolescents destinés à une professionnalisation technique, ou à l’aménagement paysager, il continue à mesurer cette importance de la photographie comme geste émancipateur. Sophie, quant à elle, se souvient qu’elle avait dix ans, en 1983, quand elle suivit un stage photographique pendant le carnaval de Denain. Parler des prises de vues, lire des planches-contacts, évoquer les étapes successives du tirage dans le laboratoire recouvrait lentement un sens pour les enfants réunis autour du photographe. Qu’en reste-t-il ? Une autre vision du quotidien, dans lequel les formes qui se répètent font sens, à travers leurs occurrences, et nourrissent un imaginaire auquel la vitesse du temps donne de moins en moins de démesure.
Avant que la rencontre ne commence dans la galerie de l’ancienne poste de Douchy-les-Mines, certains adolescents — d’autres sont encore des enfants — regardent, attentifs et silencieux, les rails de chemins de fer qui se découpent sur la neige et suivent une perspective parfaite : ce sont des photographies dont ils savent maintenant lire la parfaite construction, intransigeante, pour en décoder la gravité. Devant ces photographies de Robin Dance, ils comprendront un peu mieux qu’il ne faut jamais oublier la mémoire noire du passé.
A. C.
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Éditorial, par Pierre Devin
Partie 1. Ouvertures
Ministère de la Culture
La photographie et l’action culturelle, par Élisabeth Caillet
Ministère de l’Éducation Nationale
Photographie, éducation et culture, par Marcel Duhamel
Histoire de l’Éducation
Pas sage comme une image… ou à l’école de la photographie, par Geneviève Jacquinot
Histoire de l’Éducation
L’image comme enjeu éthique dans l’éducation, par Jacques Perriault
Philosophie
La pratique piquée au vif, par Bernard Michaux
Psychanalyse
Le regard soutenu par les mains, par Serge Tisseron
Rencontre
Armand Gatti, l’appel, le verbe, entretien avec Armand Gatti, par A. C.
Pédagogie
L’image, trousse à outils et balluchon, par Alain Réveillon
Histoire de la photographie
Prémices d’une littérature, par Gabriel Bauret
Partie 2. Expériences
Expérience pédagogique
Utilisation de la photographie dans une entreprise expérimentale de rénovation pédagogique en classe de CPPN, par Pierre Devin
Table ronde
Le regard citoyen, propos recueillis par Maryse Devin
Enquête
Post-Ateliers, par A. C.
Atelier de pratique artistique en collège
L’atelier de pratique artistique, lieu de la culture vivante, par Maryse Devin
Atelier de pratique artistique en collège
Expression, lecture, questions, par Régine Carpentier
Atelier de pratique artistique en collège
Penser photographique, par Bernard Joseph
Atelier photographique en milieu pénitentiaire
Entretien avec Thierry Dumanoir et Marc Trivier, par A. C.
Atelier photographique en milieu pénitentiaire
Entretien avec Dominique Sampiero, par A. C.
Correspondance
Lettre de Marc Trivier à Thierry Dumanoir
Partie 3. Autres expériences
Atelier de pratique artistique de Pithiviers
Compte à rendre des actions de l’atelier, par Christian Gattinoni
École maternelle Marie Moret de Vervins
Voir, imaginer, créer. Atelier de Marie-José Dausse, par Maryse Devin
Ligue française de l’enseignement
La photographie à l’école, par Dominique Gaessler
Centre national de la photographie
Entretien avec Annik Duvillaret, par A. C.
Centre photographique de Lectoure
Entretien avec François Saint-Pierre, par A. C.
Espace Saint-Cyprien de Toulouse
Entretien avec Martine Michard, par A. C.
Ateliers négociés
Entretien avec Michel Séméniako, par A. C.
International
Drik, par Shahidul Alam
International
Entretien avec Miguel Chikaoka, par Marcia Chiarelli
International
Portfolio Palestine
Bibliographie
Table des matières
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Le texte « Post-Ateliers » sera ultérieurement repris dans un ensemble de textes critiques, ouvrage à paraître.
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Site de consultation :
Bibliothèque de la Maison Européenne de la Photographie, Paris.
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Revue de presse :
Antoine Spire, « Sensible, L’Image citoyenne » in Staccato, France Culture, 6 mars 1998 (Institut National de l’Audiovisuel : n° de notice 00872493)
Télescope, « Sensible : L’Image citoyenne », 192, 1998.