Préface
« L’Eau et ses doubles » in Fabienne Barre et Maryline Desbiolles, Au-delà de l’eau,
Images En Manœuvres Éditions, Marseille, 2000.
L’eau, Fabienne Barre la met en images dans ses photographies et Maryline Desbiolles, dans Cinq mouvements d’eau, en suggère à son tour le rythme, la cadence, en évoque les sonorités : Maryline Desbiolles l’explore dans son déplacement, Fabienne Barre ses surfaces.
Dans ces déclinaisons symbolistes et ces possibilités métaphoriques, le texte de l’écrivaine et l’image de la photographe, en définitive, se rencontrent et s’expérimentent. Ainsi se parlerait-il, à travers l’eau, une langue secrète où ces deux systèmes sémiotiques sont réunis ? Le passage de l’image à l’écriture, et l’inverse « qui n’a de nom dans aucune langue », comme l’écrivait dans Fragments d’Iconographie Amoureuse Gilbert Beaugé à propos de l’un des travaux de Fabienne Barre (Épiphanies, 1997), ce passage trouve, dans les reflets de l’eau, dans cette origine des apparences, de leur traversée et de leur chute, l’un des miroirs qui secrètement unit l’écriture à la photographie.
S’il est un mythe où l’eau et l’image se retrouvaient quant à elles, c’est celui de Narcisse qui, fasciné par son propre reflet, se perd dans cette apparition devenue celle, irrésolue, d’un Autre inaccessible. Naissance de l’image et naissance, aussi, de la photographie. Car l’une des œuvres parmi les plus inventives de ses origines, Autoportrait en noyé d’Hippolyte Bayard, met en scène le photographe lui-même : noyé, son corps est sorti des eaux. Cette citation de Narcisse, comme l’une des origines de la représentation, inscrit la photographie, dès 1840, dans une histoire dont elle renouvelle la donne. L’œuvre de Fabienne Barre nous entretient du flux et des énigmes de l’image au fil du temps. Après avoir photographié des aqueducs, des fontaines ou des canaux dans la région de Provence, la photographe, ayant convoqué ce même thème dans la peinture — du Caravage, de Cézanne ou des peintres provençaux — effectue à partir de plusieurs négatifs, et à l’agrandisseur, un tirage final et unique : palimpseste à la surface duquel remonte l’histoire des signes. Car la variété des supports (peintures, photographies), des dispositifs (superpositions, agrandissements, usage de l’image négative comme positif) et des formes voyageant à travers le temps (du maniérisme à la trace argentique) apparaît comme une invitation à l’absolu du regard. L’eau, miroir et surface, ouverte sur l’imaginaire et constitutive d’une multiplicité de symboles, l’eau, mythique, originelle, reste un espace fondateur, singulièrement contemporain. L’eau s’articule sur un lieu, la Méditerranée, dont elle serait, tout à la fois, le commencement (Braudel) et le fait par lequel l’histoire du regard commence (de Orphée au Cimetière marin). Dans les compositions de Fabienne Barre, c’est la Méditerranée qui se structure donc autour de l’eau et de l’image tel ce Narcisse qui remonte à la surface des Eaux de la Durance arrivant au Palais Longchamp de Marseille, tel encore ce Pont des Trois Sautets à Meyrevil dans lequel se reflète, inversée, l’œuvre éponyme de Cézanne.
Eau, image et Méditerranée, dotées d’une même nature et d’une même fonction d’interrogation des apparences, se superposent : la transparence du film se calque sur celle des flots et sur les attributs d’un lieu. Écart à nouveau que la poétique de Maryline Desbiolles et les photographies de Fabienne Barre expérimentaient. Éloge des passages.
A. C.